Quantcast
Channel: irepp » argent
Viewing all articles
Browse latest Browse all 4

L’argent, la monnaie (1) – Un bien sans qualités

0
0

Argent, monnaie : avec le latin (moneta, pecunia), le français est une des rares langues qui possèdent deux mots pour dire ce que la plupart des autres langues confondent (money, Geld, dinero, denaro…). La distinction couvre un jugement moral : la monnaie est vraie ou fausse tandis que l’argent est bien ou mal gagné. On dit que les pays latins ou catholiques seraient spontanément plus méfiants envers l’argent que les pays protestants, anglo-saxons et nordiques. La coloration culturelle de la monnaie apparaît déjà dans ses différentes appellations.

La monnaie est, sans doute avec le sexe, l’un des domaines où la créativité linguistique est la plus féconde. L’origine des innombrables termes par lesquels l’argot désigne l’argent est souvent mystérieuse. On croit savoir que « fric » viendrait de fricot (une espèce de ragoût) ou fricandeau (d’où fricoter et fricotage ?). En revanche, pour « pognon », on hésite entre poigner (saisir avec la main) et le franco-provençal « pougnon » (un petit pain qui fait aussi penser à la … galette). Même pour monnaie, on balance entre nomisma qui évoque la norme, la loi et monere qui évoque l’annonce, l’avertissement. Pour plus de détails, voir le Dictionnaire Larousse de l’argot français et de ses origines.
L’argent inspire par ailleurs une multitude de proverbes : l’argent n’a pas d’odeur ; on verra qu’il n’a pas non plus de couleur.
Quant au nom donné à la monnaie unique européenne, il témoigne d’une volonté d’ancrage culturel et politique mais, à notre connaissance, l’euro attend toujours la consécration d’une dénomination argotique.

L’histoire économique peut être lue comme une histoire des progrès de la circulation des richesses, dans l’espace, dans le temps et aussi dans le champ des valeurs. La monnaie est l’un des instruments qui ont permis cette triple conquête. Elle permet en effet de mesurer la valeur des biens, de les échanger dans un espace monétaire donné et aussi de conserver de la valeur dans le temps. Dans cette dernière fonction, elle est plus efficacement relayée par la finance.

Un bien sans qualités

Le Dictionnaire économique et financier de Bernard & Colli (édition 1996) propose la définition suivante :
« Monnaie. Originellement : Pièce de métal servant d’instrument de règlement des échanges ; puis instrument de règlement en général. Corollairement : Unité servant de mesure des valeurs d’échange. Par extension : Ensemble des moyens de règlement. »
En tant qu’instrument d’échange, la monnaie permet de dépasser le troc : à l’échange marchandise contre marchandise se substitue un échange intermédié : marchandise-argent-marchandise.


Argent-marchandise-argent

La spéculation, sur laquelle nous reviendrons plus longuement, transformerait la séquence marchandise-argent-marchandise en séquence argent-marchandise-argent, la marchandise pouvant être alors n’importe quel « actif ». Si l’échange « normal » permet de se procurer une marchandise en échange d’argent, la spéculation viserait à se procurer de l’argent, plus d’argent. La marchandise deviendrait le moyen d’un échange dont la fin est l’argent. D’ordinaire, la condamnation suit presque immédiatement la définition, alors même que cette définition est contestable. En fait, la spéculation, c’est tout simplement la finance en tant qu’elle porte sur la comparaison permanente des prix actuels et anticipés de tous les actifs, monnaie comprise. Et, du coup, nous sommes tous peu ou prou devenus des spéculateurs.


Le règlement est facilité par trois caractéristiques de la monnaie : liquidité, fongibilité et universalité, dans les limites d’une « société monétaire » déterminée. Comme instrument de mesure « sa valeur d’échange contre chaque bien sert à mesurer la valeur relative des biens les uns par rapport aux autres, c’est-à-dire les prix. » Comme instrument de réserve enfin, elle répond à des motivations d’épargne très diverses : précaution contre les risques de la vie, ou prévoyance de dépenses futures programmées.
La monnaie peut enfin revêtir trois formes. Métallique : une forme particulière de la monnaie-marchandise (denrées, outils…). Fiduciaire : le billet de banque, à l’origine totalement gagé sur par un dépôt de métal mais qui a progressivement pris son autonomie par rapport au métal, jusqu’au « cours forcé » et à l’inconvertibilité de la monnaie-papier en métal. Et enfin scripturale : quand les échanges de monnaie se font par un jeu d’écritures.


Les trois monnaies

La monnaie est sujet de controverses entre économistes : simple médium des échanges sans effet sur les équilibres ou « bien public » des plus précieux ? Sans doute a-t-elle une double nature, celle d’un bien soumis comme les autres à la loi de l’offre et de la demande et celle d’un droit ou une créance sur les biens. La plupart des économistes s’accordent pourtant sur le fait que ses trois fonctions correspondent à trois notions différentes de la monnaie. L’instrument de mesure est un « nombre pur » à la différence, par exemple, d’une unité de longueur qui mesure une qualité.

Dans sa Philosophie de l’argent (1903), le sociologue allemand Georg Simmel qualifie l’argent de « bien sans qualité » – plus précisément de bien sans autre qualité que sa quantité. C’est justement parce qu’il est sans qualité que l’argent peut équivaloir objectivement (valeur d’échange) à n’importe quel autre bien. Car tout autre bien que l’argent possède nécessairement des qualités, une valeur d’usage qui le rend relatif à un besoin, ici et maintenant, à des préférences subjectives, etc. L’argent, lui, est d’autant plus puissant qu’il n’est rien de particulier, toujours « en puissance de ».

Par ailleurs, la monnaie détenue par un individu est comme un droit de propriété sur une partie de la production de la période considérée, droit généralement acquis sous forme de revenus par une contribution en travail ou autre à cette production. Nous exerçons ce droit chaque fois que nous réglons nos dépenses de consommation. Dans ces conditions, la quantité de monnaie disponible dans une collectivité monétaire donnée représente la somme des droits de ses membres sur la production économique de la collectivité.

Sans entrer dans les détails d’une discipline particulièrement ardue , disons que la monnaie permet de rendre commensurables non seulement les biens hétérogènes qui constituent la production nationale, mais également les contributions de chacun à la production avec ce qui lui revient de cette même production (son « revenu »)…


Qui a inventé la monnaie ?

Les manuels spécialisés évoquent l’apparition des pièces métalliques en Lybie vers le VIIe ou le VIe siècle avant Jésus-Christ. Un instrument banal et familier mais qui pose des problèmes insolubles à l’historien, au philosophe, à l’économiste et au juriste : voilà qui fait soupçonner que la monnaie n’est pas une invention assignable, mais plutôt le produit de l’expérience, des usages et de la sélection sociale. Certes, l’État s’intéresse très tôt et de très près à la monnaie « inventée » par la collectivité des marchands et les ancêtres des banquiers. Mais la capture monopolistique de la monnaie par l’appareil d’État (la Banque centrale surplombant hiérarchiquement les banques de second rang) ne date somme toute que du XIXe siècle.

Bien public et monnaie privée : nous verrons que la globalisation et la technologie monétaire raniment le débat.


Chaque fois qu’une banque remet de la monnaie à un agent économique en échange d’une créance et d’une rémunération du service ainsi rendu, elle crée de la monnaie. Par la création monétaire, le système bancaire assure l’ajustement dans le temps des rythmes du processus de production-consommation à l’oeuvre dans l’économie réelle, dans un jeu incessant de créances et de dettes.

En principe, la banque ne crée de monnaie que durant un cycle de production, au moment où elle inscrit le montant d’un salaire sur un compte, car cette monnaie créée sera détruite au fur et à mesure des prélèvements effectués pour consommer. Comme le dit de manière suggestive Bernard Schmitt , dans les paiements, la monnaie tantôt « absorbe » (marché des facteurs de production) tantôt « libère » un bien produit… Tout cela soulève deux intéressantes questions : 1) suivant quelles règles sont distribués les droits monétaires, autrement dit les revenus ? 2) comment et aux dépens de qui sont « soldés » d’éventuels droits monétaires en excèdent (inflation) sur la production réelle ? Nous y reviendrons, ici même et dans la deuxième partie de l’article.

Notons que dans une économie parfaitement rationnelle, les agents économiques sont portés à échanger la monnaie qu’il détiennent soit contre des marchandises, soit contre des titres qui rapportent un intérêt, si bien que la monnaie créée par la banque n’est conservée que de manière très éphémère.


Jeux d’écriture

Si la monnaie instrument de mesure n’est qu’un nombre pur, on peut alors se contenter d’inscrire ce nombre sur un morceau de papier (un billet de banque) ou dans un livre de compte. On peut alors justement parler d’un progrès, au moins technique, lorsque la monnaie se dématérialise, devient de plus en plus abstraite, simple signe, rejoignant ainsi son essence de bien sans qualité. Elle peut alors beaucoup plus facilement circuler.


Comme une lettre à la poste

Si la banque de dépôt a été inventée en Europe dès le XIIe siècle à Venise, il faut attendre le XVIIIe siècle pour que le transfert d’argent se démocratise avec le mandat acheminé et distribué comme une lettre à la poste. Historiquement, la Poste fut donc la principale et parfois la seule « banque » ouverte au grand public.

Depuis, la Poste offre des services financiers, moyens de paiement et produits d’épargne à ses usagers. C’est au XIXe siècle que ces services se développent avec la diffusion du mandat-poste, puis l’assurance vie (1868) et la Caisse d’épargne (1881). Le réseau postal est décidément l’élément clé, sollicité lors d’événements de portée nationale. Après la défaite de 1870, dans une France encore rurale, ce réseau va permettre de drainer vers le Trésor public l’épargne dormante des campagnes : thésaurisée, elle n’est en effet ni productive, ni rémunératrice, ni même sérieusement protégée. A l’époque les caisses d’épargne privées sont essentiellement locales et urbaines. A la fin de la première guerre mondiale, la création des chèques postaux vient couronner l’édifice en tant qu’instrument de dépôt, de paiement et de virement, notamment pour le règlement des pensions des veuves de guerre.

Sur le plan international, l’Union postale universelle organise la diffusion du mandat (Congrès de Madrid, 1920).


Mais dès lors que ce nombre monétaire quantifie mes droits sur la production sociale, il faut une belle confiance dans les institutions pour se contenter de cette simple inscription. D’où la tentation récurrente de gager la monnaie par une valeur sûre telle que l’or ou un autre métal précieux. Ce n’est qu’en 1971 que l’or a été démonétarisé avec l’abandon de la convertibilité du dollar. Définitivement ? Ce n’est pas sûr. Car le monde est en quête d’une monnaie globale, universelle, et des économistes prestigieux, y compris des prix Nobel, estiment que l’or reste un bon candidat à cette fonction.


Quand l’argent devient actif

Instrument de mesure et d’échange, la monnaie est également un instrument de réserve. Conservée, elle est comme un droit (un « produit sous forme monétaire ») en attente d’être exercé. Simplement thésaurisée, elle est gelée, sans autre contrepartie que sa « liquidité ».

Épargnée, elle est rémunérée pour la renonciation à la jouissance immédiate et à la liquidité et pour le risque couru. Dans tous les cas, le droit sur la production actuelle disparaît car il ne sera exercé que sur une production ultérieure, lorsque l’épargnant redeviendra consommateur (ou investisseur). Mais cette production n’étant pas encore réalisée, ce droit est purement virtuel. On pourrait dire que déjà on spécule, sur la production future et, corrélativement, sur la valeur de la monnaie : on quitte alors la sphère monétaire proprement dite pour entrer dans la sphère financière.

La rémunération des comptes de dépôts les fait entrer dans la sphère financière, confirmant les thèses qui voient dans la monnaie, en tant que créance, un actif financier. Ce qui ne revient après tout qu’à suivre l’exemple des entreprises (sans parler des banques) qui gèrent au plus près leur trésorerie. Et il reste encore des progrès à faire dans la financiarisation au profit des ménages, si l’on considère que chaque salarié mensualisé consent chaque mois à son entreprise une avance gratuite pour une durée qui peut atteindre trente, voire trente et un jours !


Viewing all articles
Browse latest Browse all 4

Latest Images





Latest Images